Angkor, encore et encore

OLYMPUS DIGITAL CAMERAPHNOM PENH – SIEM REAP. 28/4 – 4/5. Nous quittons à grands regrets la Birmanie tant ce peuple et ce pays nous ont émerveillés et comblés, mais d’autres nous attendent sous d’autres frontières. Laissant Cécile et Gilles entre les mains de la jeune et dynamique équipe du MotherInnLand2, nous volons vers le Cambodge où déjà sont arrivés nos amis savoyards. Nous les retrouvons à Phnom Penh avec grand plaisir et déjà les six enfants plein d’entrain sautent dans le jacuzzi (froid, mais il fait tellement chaud) de l’hôtel. La soirée de retrouvailles est, vous le pensez bien, plus qu’agréable autour de cochonnailles et fromages directement venus des alpages. Les copains ont déjà dégotté les bons petits resto des rues animées du centre-ville dont nous ne verrons que les façades de nuit.

Nous nous laissons porter par l’organisation de choc de Manu et Caro bien décidés à ne pas en perdre une miette, et c’est bien agréable, pour une fois, de se laisser entrainer dans l’aventure sans se préoccuper de rien. Le bus est déjà réservé et dès le lendemain, nous prenons la route de Siem Reap et de la belle cité d’Angkor, au nom si prometteur.

Le Cambodge marque immédiatement sa différence avec les pays déjà traversés. Les traces laissées par la France nous sautent aux yeux dès les premiers tournants. Ici, on roule à droite, volant à gauche (contrairement à la Birmanie où on roule à droite volant à droite), et on parle encore beaucoup français. Beaucoup de panneaux, de devantures, d’enseignes voire de plaques officielles ont la double écriture cambodgien/français, les rues s’appellent des boulevards, les restaurants affichent une carte de vins français, mais surtout, oh vision bienheureuse, on vend de la baguette française à tous les coins de rue! Quel plaisir que de croquer dans du bon pain frais et croustillant quand on ne connait depuis des mois que le goût insipide des pains de mie!

Par contre, la campagne nous semble bien pauvre et desséchée par rapport à la Birmanie. L’irrigation n’est de loin pas la règle et les rizières, si vertes en Birmanie et au Népal, attendent le début de la mousson et les semailles. Les maisons de bois gris, ici aussi sur pilotis, accrochent poussière et déchets. D’énormes trous sont creusés à l’avant des habitations, le plus souvent à sec ou envahis d’eau croupie. Quelques lotus parviennent à émerger de la boue et à offrir une fleur aussi belle qu’insolite. On imagine que ces fosses servent de réservoir lors de la saison des pluies.

Le bus met un bon paquet d’heures à relier Siem Reap, d’autant que des travaux sur la route en ajoutent quelques unes à la liste. Il fait déjà nuit quand nous entrons dans la ville et à l’arrivée, au lieu du pick up de l’hôtel, c’est une bonne pluie de mousson qui nous attend. Des chauffeurs de taxi nous expliquent que les hôteliers ne se déplacent pas quand il pleut comme vache qui pisse, et bien qu’ayant du mal à les croire, force est d’admettre que personne n’est là pour nous, qu’il faut nous rendre à l’évidence et à leurs bons soins payants. Sur le trajet, ils nous disent être désolés pour nous, que notre hôtel est vraiment mal choisi car excentré, que nous allons rater toutes les bonnes choses de Siem Reap, etc… mais nous, après un coup d’oeil sur le centre-ville, ses publicités et ses néons monstrueux, nous sommes bien contents d’être en dehors de l’agitation plus touristique qu’authentique.

Nous établissons notre quartier général à l’hôtel Earthwalker, dont nous sommes d’ailleurs les seuls clients (ce qui vaut mieux quand on se déplace avec une bande d’enfants dynamiques), tenu par une gentille famille thaï. Cet hôtel a l’immense avantage, mis à part être vide, tranquille, pas cher, et de bonne restauration, d’avoir une piscine (en forme de pied, ce n’est pas banal), ce qui est assez indispensable pour remotiver les enfants après des chaudes heures passées à crapahuter dans les vieilles pierres.

L’organisation est au top et Manu, tel un magicien à l’apogée de son art, sort de sa poche le numéro de téléphone d’un chauffeur de rickshaw (on dit tuk-tuk ici), Mr Rom, qui s’avère plein de ressource. Avec son copain Mr Som, ils connaissent le site par coeur et vont nous balader de temples en temples tout en restant souriants et stoïques quand, à l’arrière du tuk-tuk, les enfants chantent à tue-tête qu’il n’y a plus de patatas au marché.

Trois jours ne sont pas de trop pour approcher la capitale khmère. Le site s’étend sur plus de 400 km2 et compte 287 temples et bâtiments. En 500 ans (du IXe au XIVe siècle), les rois se succèdent, construisent et reconstruisent. Les temples, mais aussi les sculptures témoignent ainsi du temps qui passe et des différentes influences artistiques, architecturales, et religieuses. Tantôt on utilise la brique, tantôt le grès rouge ou la latérite. Tantôt le style est épuré ou fluide, tantôt les formes géométriques sont sévères et les décorations profuses. Tantôt les sculptures sont droites, répétitives, tantôt elles sont l’élégance en mouvement ou scènes de vie quotidiennes ou guerrières.

Nous remonterons le temps puisque nous commençons la visite par la ville fortifiée d’Angkor Thom, l’une des plus récentes, et à laquelle on accède en passant sous une immense arche de 23 mètres de haut, Le pont qui y mène est flanqué de chaque côté d’une série de statues (les dieux aux sourires fiers à gauche, les démons monstrueux à droite) soutenant le naga (serpent) sacré comme s’ils participaient à une compétition de tir à la corde. Ils illustrent le barattage de la mer de lait, lors de la création de l’univers, qui produit l’amrita, nectar d’immortalité. Du haut de l’arche nous observe, sculpté dans la roche, un énigmatique personnage à 4 visages sous lequel veillent les éléphants à 3 têtes.

Le Bayon, au centre de la ville, est un temple imposant se dressant comme une montagne. Ses 54 tours d’origine (il n’en reste que 37) sont chacune ornées des quatre visages de Bouddha: au sud le visage sympathique, à l’est la pitié, au nord l’humeur égale, à l’ouest, l’égalité. Ce temple est un ensemble de couloirs, galeries, escaliers et terrasses entre lesquels vous vous faufilez. A chaque retour à la lumière, Bouddha vous regarde du haut de sa sérénité silencieuse.  La joyeuse bande d’enfants, lâchée après le minimum syndical d’explications du site, se fait un plaisir de s’y perdre et se donne des libertés d’explorateurs. Tout le long des murs extérieurs, des fresques sculptées illustrent les batailles endiablées entre l’armée khmère et les chams ou les chinois, à grands coups de flèches ou de combats d’éléphants. Plus loin, les habitants de la cité pèchent, chassent, commercent, s’épouillent ou accouchent, autant de scènes de la vie quotidienne que les détails minutieux rendent presque vivantes. Enfin, symbole d’Angkor pour l’éternité, les apsaras, nymphes d’antan et danseuses khmères ornent chaque pilier de leur grâce et de leur sourire enchanteur.

Le Baphon est l’un des temples les plus hauts. Pyramide comparée à une montagne d’or, on venait s’y recueillir devant le lingham, symbole de Shiva. En partie écroulé, son escalade est devenue vertigineuse et dangereuse, l’accès en est d’ailleurs interdit aux enfants. Mais c’est en en faisant le tour, parmi les arbres envahissants de la jungle alentour, que l’on découvre, couché sur 60 mètres de long et incrustée dans la paroi, un splendide Bouddha couché entrant en Nirvana.

La restauration est en cours, luttant contre les racines qui soulèvent les pierres et les projettent quelques mètres plus bas. Il faut numéroter chaque roc comme autant de pièces d’un puzzle que seuls les archéologues chevronnés sauront reconstituer. Il en fut ici d’importants voire de génie qui, depuis la fin du XIXe siècle, ont su découvrir, respecter, et restaurer le site devenu, on le comprend, l’emblème du pays.

La balade se poursuit au-dessus puis au-dessous de la terrasse des éléphants qui borde sur 350 mètres le palais royal. Le roi y prenait place pour assister aux spectacles donnés sur la grande place. Des éléphants, des lions, mais aussi des Garudas semblent porter l’estrade, quand plus loin, c’est tout en finesse et dans d’étroites galeries que se dessinent divinités, nagas, apsaras ou monstres divers, cachés sous la terrasse du roi lépreux, statue bien solitaire.

Après la pose baignade règlementaire, nous voilà d’attaque pour affronter Angkor Wat, le plus majestueux et célèbre des temples. Entouré de ses douves que l’on imagine pleines de crocodiles autrefois, le temple se voit de loin et l’approche lente émoustille les papilles et fait monter la pression. Débarqués par nos deux compères en bas des marches et un longyi vite enfilé pour masquer les jambes nues, nous franchissons le long pont central qui mène à l’enceinte. Nous ne sommes pas seuls, mais ce sont les groupes de moines dans leurs robes orange vif qui passent le moins inaperçus. Du côté droit du mur d’enceinte, caché dans une voûte, une grande statue de Vishnou attend les offrandes sous des volutes d’encens.

Le temple nous est familier tant ses photos s’affichent dans les livres et les revues du monde entier, ou ici, sur tous les drapeaux cambodgiens, mais le découvrir en vrai au fond de ses jardins, avec ses trois tours alignées et symétriques, nous laisse sans voix, et c’est silencieusement que nous gagnons les portes d’entrée. Celle du roi est fermée pour travaux, aujourd’hui, nous ne sommes que hauts dignitaires et entrons par la porte gauche. Là encore, les enfants sont partis devant, les grands veillant sur les plus petits, l’indépendance… A l’intérieur, tout le long des murs des galeries, les bas-reliefs sont tous plus beaux les uns que les autres. Ici des scènes du Ramayana ( guerre entre Rama et Ravana qui lui a pris sa femme), là du Mahabharata ( guerre entre Kaurava et Pandava), ou du jugement de Yama, dieu des enfers, là encore le barratage de la mer de lait,… Chaque armée compte des centaines de soldats, de chevaux, d’éléphants, les dieux et les rois s’entourent d’une cour impressionnante et de plusieurs chars, servants et servantes, femmes et maitresses, les mers sont poissonneuses, les démons se démultiplient, les crocodiles et les singes croquent les jambes des trainards, bref, des milliers de personnages et animaux fantastiques admirablement conservés. C’est tellement beau que la visite du sanctuaire centrale semble moins intéressante, succession de terrasses et d’escaliers, quelques Bouddhas dont certains décapités par les Khmers Rouges, quelques magnifiques apsaras toujours aussi charmeuses. La visite de la tour centrale nous sera interdite par le gardien trop pressé de fermé et de récolter quelque bakchich de ceux qui veulent absolument atteindre le nirvana. Un groupe de chinoises paye une fortune pour escalader la barrière… Que peut-on faire alors à part lui lancer notre plus noir regard désapprobateur…

Le deuxième jour, nous laissons les enfants roupiller et retournons vers Angkor Wat pour le lever du soleil. Tiens! Nous ne sommes pas les seuls à avoir eu cette idée-là. La pelouse devant le temple est noire de monde, ce qui enlève un peu à la magie du moment. Nos photographes parviennent tout de même à faire quelques belles photos entre l’espagnol qui prend une pose d’équilibriste sur un rocher, l’équipe de sport chinoise en T-shirts rouge, et les quelques centaines de gens amassés devant l’astre levant.

La matinée est consacrée à la visite des temples du  » grand circuit », mais la chaleur étouffante nous oblige à sabrer dans le programme. Le Preah Khan est également une ancienne ville dans laquelle vivaient une centaine de millier d’habitants. Beaucoup de tours sont écroulées et de sculptures vandalisées ou pillées. Il en reste néanmoins de très belles, notamment des linteaux de porte ciselés qui mettent en scène Bouddha attaqué par des démons. Le lingham aux trois formes (rond pour Shiva, octogonal pour Vishnou, carré pour Brahma), symbole de l’hindouisme, témoigne de l’entremèlement des croyances à cette époque.

Plus loin, un pont de bois mène aux bassins sacrés dont l’eau servait aux ablutions et sur lesquels veillent des gardiens en forme de serpents, d’animaux fantastiques ou de cheval sacré. C’est l’occasion de cueillir quelques feuilles de nénuphars et de suivre, envieux, les buffles immergés dans l’eau.

Le clou de la journée est sans conteste le Ta Phrom. Si l’on a pu admirer l’oeuvre destructrice des fromagers géants sur les autres temples, c’est ici que la magie de la nature est la plus surprenante. L’organisme conservateur du site a délibérément laissé le temple se faire engloutir au fil des années, pour montrer l’effet du temps et de l’expression  » quand la nature reprend ses droits » . Les racines s’infiltrent dans les failles, serpentent de long en large de bas en haut, surgissant de l’autre côté du mur disloqué, embrassant les portes de leurs bras tentaculaires. Grossissant inlassablement, elles ne laissent plus d’autre choix à la pierre que de s’incliner gracieusement. Cela n’empêche pas les restaurateurs d’exercer leur art en remontant une galerie pierre par pierre, la photo avant/après est impressionnante.

Le dernier jour, Mrs Rom et Som nous emmènent découvrir les Banteay Samré et Banteay Srei, encore deux petits bijoux parmis les nombreux temples angkoriens. Le dernier notamment est appelé la citadelle des femmes tant la finesse et la délicatesse des reliefs évoqueraient le travail de sculpteurs féminins. Ce temple de grès rose n’est pas sans rappeler le velouté des murs de notre cathédrale mais ici, ce sont les singes qui sont gardiens du temple et les dieux montent des éléphants.

Notre quatrième jour à Siem Reap est consacré à la visite de villages flottants ou sur pilotis pour les uns, tandis que les autres profitent de la piscine entre deux temps d’école,… à moins que ce ne soit l’inverse…

Une réflexion au sujet de « Angkor, encore et encore »

  1. Philippe POINDRON

    Voilà une description excellente. Je fréquente le musée GUIMET, j’ai vu des expositions sur ANGKHOR, je n’ai jamais rien lu qui fasse autant VOIR. Je rentre de STBG où j’ai pu fêter ,les un an de Samuel, un adorable petite garçon. On a pensé à vous !
    Je vous embrasse.

    Papa/Papoune

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